Aveuglés par la théorie
selon laquelle la conscience implique systématiquement un état d’action
(observation, mouvement) et jamais celui de potentiel (repos), la plupart des
philosophes qui s’étaient penchés sur la question en avaient conclu que son
essence, bien qu’admise par la psychologie et pouvant être mise en évidence par
la psychanalyse, ne peut être ni définie ni démontrée par autre chose que par
elle-même et c’est ainsi qu’elle fut rangée dans le tiroir des concepts
seulement démontrables par eux-mêmes : Dieu, le temps et le chiffre zéro.
Toute conscience est
conscience de quelque chose…, parler de "conscience sans objet"
est-ce alors parler pour ne rien dire ?
Il n’y a pas plus absurde
que cette question/affirmation !
Je reviendrai sur l’origine
de cette erreur fondamentale lorsque j’aborderais un peu plus loin dans cet
exposé, la position des philosophes modernes et notamment celle de Kant sur la
nature même de la conscience. Mais voyons d’abord comment se construit une
conscience de soi et, ainsi nous pourrons mieux comprendre la
théorie Kantienne de la connaissance.
En dehors du génie
artistique capable de créer des œuvres qui dépassent son entendement immédiat, la plupart des gens ne
conçoivent que les choses qu’ils comprennent et ne comprennent que ce qu’ils
peuvent concevoir.
Cette loi implique une
mécanique en spirale, évoluant grâce à l’acquisition des connaissances et
surtout à la transformation de celles-ci en savoir. Plus on apprend et
meilleure est notre compréhension de l’ensemble et plus grande est notre
capacité à anticiper et à concevoir l’incompréhensible pour la majorité d'entre nous.
Ce mécanisme élaboré consiste
à transformer des informations obtenues par acquisition ou expérience, en
connaissances, en savoir et en savoir-faire jusqu’à atteindre un haut degré de
maitrise dans l’anticipation des événements, elle même source d’informations
transformables en connaissance et en savoir, faisant du même coup repartir le
cycle à l’infini.
C’est bien grâce à ce
mécanisme que se construit progressivement l’état de conscience de soi, jour
après jour, acquisition après acquisition, expérience après expérience…, en ce sens que cet état n’est absolument pas
une chose statique créé par je ne sais quelle puissance surnaturelle et
imprimée dans l’être dès la naissance de l’individu. C’est une sensation
évolutive d’être, engendrée par une accumulation de retour d’expériences, perçue
en continu, prenant la forme d’un périmètre de conscience individualisée
évoluant au fil du temps grâce à la capacité d’apprentissage, d’observation, de
compréhension et de transformation des connaissances en savoir et en
anticipation selon un processus
auto-apprennant à la manière de "l’Escalier Impossible" conçu
par le généticien Anglais Lionel
PENROSE.
C’est bien la résultante de
ce mécanisme qui constitue un prélude à la conscience d’être et non pas la
propre existence de l’entité consciente elle-même. René Descartes n’avait pas poussé son raisonnement jusqu’à
faire la différence entre conscience et conscience d’être, autrement il aurait
certainement compris que penser par déduction est une réaction mécanique
(intelligente) aux stimuli de l’environnement et non pas la résultante d’un
schéma inné servant de récepteur d’inspiration divine. Cette doctrine cartésienne
selon laquelle certains principes primordiaux tels que les lois de la pensée,
les principes de la morale, l'existence de Dieu etc., seraient innés avec la
conscience de chaque individu, est une
doctrine dénuée de sens. C’est la copie conforme (c’est même un plagiat éhonté)
du mysticisme philosophique Soufi établi
500 ans avant René Descartes par le philosophe musulman Al-Ghazali et qui tendait à prouver l’existence d’allah par
élimination logique d’arguments contraires.
Je ne doute pas que je suis,
non pas parce que je pense, les animaux pensent mais ne doutent pas, mais parce que je maitrise l’art de concevoir et
d’anticiper les choses selon un mécanisme élaboré de transformation de
l’information.
Cela se passe ainsi :
Des briques de connaissances,
de savoir, de certitudes et d’expériences, chargées d’émotion, sont
accumulées sans cesse au cours de la vie
d’une personne, constituant ainsi une muraille identitaire évolutive. Une fois
lancée cette construction ne s’arrête qu’à la mort physique survenue. Tant et
si bien que tout déficit en briques d’expériences (non vécues) ou de
connaissances (non-acquises), entrainerait systématiquement une substitution
par des briques de croyances dogmatiques ou de fausses certitudes. Nos ancêtres
avaient conçu le concept de dieu, puissance surnaturelle invisible, parce
c’était la seule explication "rassurante" qu’ils avaient au sujet des phénomènes catastrophiques
naturels incompréhensibles. La brique du savoir manquante fût remplacée par une
brique de croyance dogmatique et qui plus est, fortement chargée en émotions.
Si toutes les briques de ce
périmètre de conscience sont également nécessaires au maintien de l’ensemble,
certaines peuvent toutefois jouer un rôle crucial en matière d’identité
individuelle, le même que celui joué par une clé de voûte dans l’architecture
gothique. Les remettre en cause sans les remplacer par des briques de gabarit
équivalent, ne fera que provoquer l’effondrement de l’édifice. Il arrive
parfois que la valeur émotionnelle attachée à une brique de croyance ou
d’expérience, située à la base de la muraille identitaire, soit si forte que la
personne préfère se réfugier dans le déni de la réalité plutôt que de se voir
confrontée à la résurgence de cette charge émotionnelle.
C’est bien à ce périmètre
de conscience auquel fait référence le philosophe Allemand du 18ème siècle, Immanuel Kant, lorsqu’il affirma
que le lien de cause à effet relevant bien de l’état de connaissance à priori,
est non décelable par l’observation directe sans l’aide de l’expérience et de
la subjectivité de l’observateur. Mais nous verrons cela au prochain article. En attendant et si vous avez la patience de le faire, lisez le livre de Roger Penrose (le fils) : Shadows of the Mind. New York: Oxford University Press
Herbert