lundi 4 février 2013

L'escalier de Penrose ou la conscience de soi



Aveuglés par la théorie selon laquelle la conscience implique systématiquement un état d’action (observation, mouvement) et jamais celui de potentiel (repos), la plupart des philosophes qui s’étaient penchés sur la question en avaient conclu que son essence, bien qu’admise par la psychologie et pouvant être mise en évidence par la psychanalyse, ne peut être ni définie ni démontrée par autre chose que par elle-même et c’est ainsi qu’elle fut rangée dans le tiroir des concepts seulement démontrables par eux-mêmes : Dieu, le temps et le chiffre zéro.

Toute conscience est conscience de quelque chose…, parler de "conscience sans objet" est-ce alors parler pour ne rien dire ?

Il n’y a pas plus absurde que cette question/affirmation !

Je reviendrai sur l’origine de cette erreur fondamentale lorsque j’aborderais un peu plus loin dans cet exposé, la position des philosophes modernes et notamment celle de Kant sur la nature même de la conscience. Mais voyons d’abord comment se construit une conscience de soi et, ainsi nous pourrons mieux comprendre la théorie Kantienne de la connaissance. 
En dehors du génie artistique capable de créer des œuvres qui dépassent son entendement immédiat, la plupart des gens ne conçoivent que les choses qu’ils comprennent et ne comprennent que ce qu’ils peuvent concevoir.

Cette loi implique une mécanique en spirale, évoluant grâce à l’acquisition des connaissances et surtout à la transformation de celles-ci en savoir. Plus on apprend et meilleure est notre compréhension de l’ensemble et plus grande est notre capacité à anticiper et à concevoir l’incompréhensible pour la majorité d'entre nous.

Ce mécanisme élaboré consiste à transformer des informations obtenues par acquisition ou expérience, en connaissances, en savoir et en savoir-faire jusqu’à atteindre un haut degré de maitrise dans l’anticipation des événements, elle même source d’informations transformables en connaissance et en savoir, faisant du même coup repartir le cycle à l’infini.

C’est bien grâce à ce mécanisme que se construit progressivement l’état de conscience de soi, jour après jour, acquisition après acquisition, expérience après expérience…,  en ce sens que cet état n’est absolument pas une chose statique créé par je ne sais quelle puissance surnaturelle et imprimée dans l’être dès la naissance de l’individu. C’est une sensation évolutive d’être, engendrée par une accumulation de retour d’expériences, perçue en continu, prenant la forme d’un périmètre de conscience individualisée évoluant au fil du temps grâce à la capacité d’apprentissage, d’observation, de compréhension et de transformation des connaissances en savoir et en anticipation selon un processus  auto-apprennant à la manière de "l’Escalier Impossible" conçu par le généticien Anglais Lionel PENROSE.

C’est bien la résultante de ce mécanisme qui constitue un prélude à la conscience d’être et non pas la propre existence de l’entité consciente elle-même. René Descartes n’avait pas poussé son raisonnement jusqu’à faire la différence entre conscience et conscience d’être, autrement il aurait certainement compris que penser par déduction est une réaction mécanique (intelligente) aux stimuli de l’environnement et non pas la résultante d’un schéma inné servant de récepteur d’inspiration divine. Cette doctrine cartésienne selon laquelle certains principes primordiaux tels que les lois de la pensée, les principes de la morale, l'existence de Dieu etc., seraient innés avec la conscience  de chaque individu, est une doctrine dénuée de sens. C’est la copie conforme (c’est même un plagiat éhonté) du mysticisme philosophique Soufi établi 500 ans avant René Descartes par le philosophe musulman Al-Ghazali et qui tendait à prouver l’existence d’allah par élimination logique d’arguments contraires.

Je ne doute pas que je suis, non pas parce que je pense, les animaux pensent mais ne doutent pas, mais  parce que je maitrise l’art de concevoir et d’anticiper les choses selon un mécanisme élaboré de transformation de l’information.

Cela se passe ainsi :

Des briques de connaissances, de savoir, de certitudes et d’expériences, chargées d’émotion, sont accumulées  sans cesse au cours de la vie d’une personne, constituant ainsi une muraille identitaire évolutive. Une fois lancée cette construction ne s’arrête qu’à la mort physique survenue. Tant et si bien que tout déficit en briques d’expériences (non vécues) ou de connaissances (non-acquises), entrainerait systématiquement une substitution par des briques de croyances dogmatiques ou de fausses certitudes. Nos ancêtres avaient conçu le concept de dieu, puissance surnaturelle invisible, parce c’était la seule explication "rassurante" qu’ils avaient  au sujet des phénomènes catastrophiques naturels incompréhensibles. La brique du savoir manquante fût remplacée par une brique de croyance dogmatique et qui plus est, fortement chargée en émotions.

Si toutes les briques de ce périmètre de conscience sont également nécessaires au maintien de l’ensemble, certaines peuvent toutefois jouer un rôle crucial en matière d’identité individuelle, le même que celui joué par une clé de voûte dans l’architecture gothique. Les remettre en cause sans les remplacer par des briques de gabarit équivalent, ne fera que provoquer l’effondrement de l’édifice. Il arrive parfois que la valeur émotionnelle attachée à une brique de croyance ou d’expérience, située à la base de la muraille identitaire, soit si forte que la personne préfère se réfugier dans le déni de la réalité plutôt que de se voir confrontée à la résurgence de cette charge émotionnelle.

C’est bien à ce périmètre de conscience auquel fait référence le philosophe Allemand du 18ème siècle, Immanuel Kant, lorsqu’il affirma que le lien de cause à effet relevant bien de l’état de connaissance à priori, est non décelable par l’observation directe sans l’aide de l’expérience et de la subjectivité de l’observateur. Mais nous verrons cela au prochain article. En attendant et si vous avez la patience de le faire, lisez le livre de Roger Penrose (le fils) : Shadows of the Mind. New York: Oxford University Press

Prochain article : Qu'en pensent les philosophes modernes ?

Herbert

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